"Je vous ai aimée dès l'instant où je vous ai vue. Puis-je espérer  ?"

Il la regarda et fut frappé de l'expression grave et passionnée de son visage. Son visage semblé dire : "Pourquoi le demander ? Pourquoi douter de ce qu'il est impossible de ne pas savoir ? Pourquoi parler quand on ne peut exprimer par des mots ce qu'on ressent ?"

Elle se raprocha de lui et s'arrêta. Il lui prit la main et la baisa.

"Maimez-vous ?"

[ ... ]

Le prince Adrés tenait ses mains dans les sinnes, la regardait dans les yeux et ne retrouvait plus dans son coeur le même amour pour elle. Une sorte de revirement s'était produit en lui : l'ancien attrait poétique et mystérieux du désir avait disparu, il ne restait plus que de la pitié pour sa faiblesse de femme et d'enfant, de l'effroi devant son abandon et sa confiance, une conscience poignante et à la fois pleine de joie du devoir qui le liait à jamais à elle. Ce sentiment nouveau, sans être poétique et lumineux, n'en était que plus sérieux et plus fort.

Guerre et paix

Léon Tolstoï

Volume 1, Livre Deuxième, Troisième Partie, Chapitre XXIII